lundi 20 juillet 2009

Quelque part au milieu des brumes du manque de sommeil, j'avais cru saisir deux mots, autant à la mode et donc souvent mal utilisés l'un que l'autre: alternatif et éco-citoyen. La différence entre ces deux concepts, en terme de voyage, ai-je compris après m'être raccrochée à la conversation, c'est qu'un voyageur éco-citoyen va partir dans des pays en développement pour y dépenser son argent de façon intelligente, en se faisant loger chez l'habitant contre rémunération, ce qu'on appelle le tourisme solidaire, en achetant des produits locaux, bref, en faisant en sorte que tout ce qu'il dépense ira aux populations locales. Le voyageur alternatif préfèrera jouer au dé pour choisir une heure de départ et aller à la gare prendre le train dont l'heure de départ est la plus proche. Pas bien de prendre de grandes décisions en jouant aux dés, mais ceci est une autre histoire.

Le pourquoi du comment de la présence de cette petite anecdote en point de départ était d'attirer l'attention sur le fait que "éco-citoyen", ça reste dans une logique capitaliste. C'est le développement par la consommation, c'est un voyage somme toute pas tant différent dans le mode de fonctionnement que le club de vacances. Sur une même échelle de valeurs, c'est mieux; mais le principe des alternatives est de passer à une autre échelle.

Eco-citoyen, c'est à la mode. Vert, aussi. Et solidaire, équitable, tout ça. Et comme tous les mots trop utilisés, vient un moment où ça ne veut plus rien dire. Alors, si ça ne veut rien dire, on peut allègrement l'utiliser pour tout et n'importe quoi, parler de commerce équitable pour une glace fabriquée de façon industrielle dans les pays du Nord, une partie des ingrédients étant des matière premières des pays du Sud. Ça reste dans la logique de la mondialisation: la valeur ajoutée, la main d'œuvre, ce qui rapporte, c'est pour le Nord. Mais qu'importe, puisqu'il y a le petit logo Max Havelaar à coté, on peut affirmer sur les panneaux publicitaires qu'acheter cette glace, c'est devenir un mec bien en deux coups de cuillère à pots. Oui, parce qu'en plus, elle est vendue en petit, tout petit pot jetable. Karl Marx a connu les aumônes faites par l'aristocratie tous les dimanches; il ne serait pas étonné de voir que la bonne conscience, comme tout le reste, ça s'achète. L'écologie est trop moralisatrice? On nous fait culpabiliser en nous montrant les enfants du Tiers-Monde? Qu'à cela ne tienne! Si la religion était l'opium du peuple, les petits logos verts et équitables sont l'opium de la bourgeoisie. Et je trouve ma foi la bonne conscience très bon marché.

C'est comme ça qu'on arrive à un inversement des valeurs. Parce que l'écologie est devenue à la mode chez les bobos, ça devient à la mode de cracher dessus quand on veut faire rebelle.

Remontons à la source et on voit que si l'écologie n'est ni de gauche ni de droite, ce n'est pas parce qu'elle est trop importante, c'est parce qu'il s'agit non pas d'une idée politique, mais d'une science: l'étude des êtres vivants dans leur milieu. Ça inclue l'étude de "comment les être humains modifient leur milieu et quel est l'impact sur les autres espèces". En toute logique, une fois découvert que les activités humaines rejettent des gaz modifiant le climat à une vitesse tellement importante qu'elle met en danger la survie des humains eux-mêmes (là, c'est le domaine de l'écologie), on ne reste pas les bras croisés à observer, on s'en inquiète, et là, on passe au domaine du politique. Au même titre que pour une politique de relance face à la crise, tous les partis ne donnent pas la même réponse. Voire ne donnent pas de réponse, et préfèrent jouer les autruches, mais j'ose espérer qu'à peu près tout le monde a compris que, quel que soit l'angle sous lequel on envisage les solutions, on ne peut pas ne pas prendre en considération l'écologie maintenant qu'on est au courant que ça existe.

De là, deux branches majeures, le très populaire "développement durable" et la moins célèbre "décroissance"; ou pour leur donner des petits noms affectueux, le complexe du sac plastique et les alternatives.
Le complexe du sac plastique, c'est quand on s'est rendu compte que quand on trouve des mammifères marins ou des tortues morts échoués, on s'aperçoit après autopsie que beaucoup ont été étouffés par des sacs plastiques emportés par le vent sur de très longues distances. Et puis en plus les sacs plastiques, ça utilise du pétrole, et ça il faut l'économiser. Comment faire, alors, pour ne pas, à chaque fois qu'on va au supermarché, en repartir chargé de sacs plastiques jetables? La réponse est simple: faire des sacs en papier, toujours jetables, mais cette fois c'est pas avec du pétrole, c'est avec des arbres! (et la même dépense d'énergie pour les faire). Le complexe du sac plastique, c'est chercher une solution dérisoire et temporaire pour contourner un problème sans rien changer à son mode de vie (prendre des sacs réutilisables? Mais mais mais... faudrait les ramener à chaque fois!) Allez, une petite perle du complexe du sac plastique pour la route: en plein débat sur les alternatives (on y revient), quand la question était soulevée de l'absurdité d'avoir plusieurs télés par foyer, avec tout ce que ça engendre en composants électroniques, dont des minerais extraits dans des conditions déplorables en Afrique, et tout ça quand ça arrive en fin d'utilisation, on en fait quoi? alors que ce serait nettement plus convivial de partager une seule télé pour plusieurs, même pour différentes familles, tiens! Un jeune homme suggère que, après tout, on ne pourrait pas continuer à fabriquer le même nombre de télés, mais avec un cadre en bois au lieu d'avoir un cadre en plastique? Il suffisait d'y penser...

Passons à l'échelle d'à coté et voyons ce qu'il en serait dans un monde où on se retrouverait entre voisins pour regarder la télé de quartier le soir. Ce serait aussi un monde où on prendrait les transports en commun, ou quand on peut pas, on ferait du covoiturage, au lieu d'être seul dans sa voiture. On pourrait aussi, tiens, faire des achats en gros aux producteurs locaux pour que ça revienne moins cher et se rassembler à plusieurs foyers pour faire la cuisine. On pourrait imaginer un tas de trucs basés sur l'idée de groupe et pas d'individu parce que en se rassemblant, on consomme moins d'énergie, moins de matières premières. On pourrait même en arriver à se dire que l'écologie, ça ferait un beau prétexte pour quelque chose qui ne ferait pas de mal même si l'environnement se portait très bien, merci pour lui. Pour en revenir au point de départ, on pourrait aussi voyager en stop, ou à la voile tiens (ouaiiiiis!), et puis partir sans trop savoir où on va dormir au lieu de réserver un hôtel à l'avance; et puis pourquoi pas se faire inviter chez des gens, gracieusement, ou contre une une aide quelconque...


Après avoir lu deux articles sur le sujet dans des magazines en une semaine, j'en serais presque à craindre que le wwoofing ne devienne à la mode. WWOOF, c'est pour Willing Workers On Organic Farms, c'est un principe qui consiste à travailler dans une ferme bio en échange du et seulement du gîte et du couvert. Si le wwoofer n'est pas payé, les hôtes n'en retirent pas non plus un gros bénéfice financier; sauf dérives, il n'est pas là pour faire le travail d'un employé saisonnier, mais pour apprendre, en étant accueilli comme un membre de la famille. L'intérêt, c'est de passer un peu de temps sans que la question de l'argent ne soit posée, c'est de rencontrer des gens, c'est de voyager différemment et de découvrir une autre culture pour de vrai, pas juste les sites touristiques. C'est, aussi, ne pas dériver vers un système à l'américaine où, je cite les Américaines rencontrées pendant que, précisément, je faisais du wwoofing en Italie, la plupart des gens n'ont jamais vu un cerisier en vrai, et pour eux, les cerises, c'est ces trucs qu'on trouve dans des barquettes en plastique, pas sur les arbres.

Heureusement, comme ça nécessite quand même de se salir les mains, je doute que le wwoofing soit un jour phagocyté par les gens qui veulent se nourrir sainement en se donnant bonne conscience, comme l'ont été le bio et le commerce équitable. Parce que, franchement, j'aimerais pas me faire un jour traiter de bobo pour avoir passé trois semaines à traire des chèvres.

3 commentaires:

  1. Waw, bravo Mathilde !

    Très pertinente distinction entre le développement durable et la décroissance que je rejoins (en bonne critique du développement durable et en partisane -idéaliste - de la décroissance).

    Tu fais de la bonne pub (ah non, ça c'est capitaliste) au Wwoofing ... fais attention, ça va donner envie aux bobos.

    A ce propos, en ce qui concerne la "mode" de l'équitable et du bio, je crois que tu as finalement mis le doigt sur ce qui me gênais sans que je comprenne vraiment pourquoi : le fait que certains se l'approprient comme pour se composer une certaine identité, comme le ferait un nouveau sac à main ... En se construisant comme s'ils faisaient les magasins justement. "Ah regarde ça, c'est nouveau, ça s'appelle la bouffe bio, ça m'irait bien tu trouves pas ?" Consommation. Offre et demande d'attitudes "moralisées".

    Pour ce qui est de la décroissance, dans l'idée que je m'en fais (qui est assez absolue mais bon comme c'est l'idée que JE m'en fais ... il fallait que ce soit absolu je suppose), cela va plus loin. Progressivement bien sûr. Mais je considère plutôt ça comme une révolution totale : remise en cause de la notion de travail et de celle de loisir, remise en cause de l'espace et du temps. Donc plus du tout de télévision et une suppression des transports qui consomment du carburant polluant (d'où changement de conception du temps et surtout de l'espace). Après, la question qui se pose est celle de la technologie en ce qui concerne la santé. Ici, la décroissance signifierait-elle l'arrêt d'un progrès technique destiné à rallonger les vies humaines et à en diminuer les douleurs physiques ? Pour ce qui est de rallonger les vies humaines ... je me méfie. C'est assez intuitif mais je trouve ça plutôt malsain d'allonger la vie sans limite. Cette volonté fait écho au désir d'augmenter sans cesse la richesse - le PIB - présent dans l'idéal capitaliste.

    Quant à l'écologie comme vecteur de cohésion sociale, c'est très bon. J'imagine que cela favoriserait la formation de communautés. Ce qui me semble le mieux serait une vie en communauté à l'échelle locale, au centre du quotidien. Mais elle ne serait pas seule, ça serait comme une vie à plusieurs échelles, plusieurs zones de contact avec pour noyau cette vie très communautaire. Je n'ai jamais été fan du modèle de la famille nucléaire pour être franche ...

    Bon ... j'ai la flemme de relire ce que je viens d'écrire. Ce sera sans doute très confus mais merde ! :D

    Et enfin, pour ce qui est des dés ... je te rappelle que le dé au premier lancé avait dit "année sabbatique" !

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  2. Remise en cause de la notion de travail et de celle de loisir? Une révolution totale? Revenir au billet précédent alors... (ok, c'est payé au lance-pierres, ok, ok, je vais galérer si je veux reprendre un appart, mais quoi... c'est fun!)

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  3. C'est chou. Anti-nomos chéri, je te dirais volontiers de ne jamais changer, mais ce n'est en fait pas nécessaire.

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