Mignonne, allons voir si la rose...
C'était l'autre jour dans le train: deux garçons qui bavardaient à voix haute, très haute. Hélas pour moi qui étais donc obligée de les entendre, d'une oreille méprisante, se lamenter sur la difficulté d'être fidèle. Aussi profondément que je me plonge dans la lecture du Chevalier de la Charrette, je n'allais pas non plus me boucher les oreilles. L'un d'eux s'exclame, d'une voix de stentor et avec une élégance incomparable: « Comme j'ai envie d'me faire sucer! ». S'ensuit quelque chose que j'ai finalement interprété comme une proposition à mon égard d'accepter de remplir cet office, encore qu'il n'était pas évident que c'était à moi qu'il s'adressait; mais n'étant que trois dans le wagon, je ne sais comment l'interpréter autrement. Proposition assortie d'un « Si tu m'suces, comme j'serai affolé de toi... ». Inutile de préciser que j'étais sous le charme: il serait donc possible de me faire aimer pour si peu?
Une pensée qu'une plus prude que moi aurait refoulée aussi sec s'est insinuée dans mon esprit: « Et pourquoi pas après tout? »... Ce ne sont pas les raisons de refuser qui manquent; les raisons d'accepter seraient plus difficiles à trouver. Mais après une rapide inspection, les raisons de refuser fondent à vue d'œil; finalement, quelle est la vue la plus sexiste: qu'un homme ait le droit de faire des avances vulgaires à la première inconnue croisée comme s'il était raisonnablement possible qu'elle accepte, ou qu'une chaste jeune fille se doive d'être choquée par ce genre de discours et de n'y répondre que par le mépris? Me considérait-il sur un pied d'égalité en disant ça? Mais en même temps, qu'avais-je tant à lui opposer? Ma précieuse vertu, ma réputation, l'honneur et la convenance d'une longue défense...? De grâce, pas de ça. Pas davantage de raisons à opposer à une proposition vulgaire qu'à une cour assidue; la seule valable et indiscutable reste « j'ai pas envie ». Peut-être ne l'a-t-on pas assez dit. Peut-être même ne le dira-t-on jamais assez.
Tiens, si la mère de Pétrarque s'était fait avorter, quel soulagement pour la gente féminine! Si seulement personne n'avait eu l'idée stupide de taxer de cruauté la Dame refusant ses faveurs à celui qui l'aime avec passion! C'était là sans doute le début de la schizophrénie féminine qui a suivi depuis une courbe exponentielle, à moins que cela n'ait déjà commencé avec Ève et Marie...? Bref. Comment voulez vous rester cohérente quand vous n'avez le droit ni de refuser sous peine de cruauté, ni d'accepter sous peine de déshonneur? Notez que les hommes, eux, savent où est leur avantage dans l'histoire. Si on fait le compte du nombre de fois où l'on a entendu une femme se faire traiter de salope ou assimilée, combien venaient d'un homme? Quelques amoureux déçus, ou automobilistes moyens s'étant vu mettre un PV... Il n'y a qu'une femme pour en vouloir à une autre de porter une jupe trop courte.
Il était une fois une fée pleine d'idée modernes et réformistes qui s'attacha à un couple venant d'avoir son premier bébé. Elle se pencha sur le berceau de l'enfant et chercha dans son grand sac à vertu laquelle lui conviendrait le mieux. Elle décida d'en faire un garçon d'une intelligence brillante, qui forcerait l'admiration de tous, et rencontrerait le succès tout au long de ses études et de sa vie professionnelle.
Vint un deuxième petit garçon. La fée, qui n'aimait pas se répéter, voulut lui donner un don lui assurant de se singulariser de son aîné, de briller dans un autre domaine. Alors elle lui accorda le don de se faire facilement des amis et de plaire aux filles, de toujours paraitre sympathique et généreux, au point que l'on dirait de lui que c'est une crême.
Le troisième enfant fut une petite fille. La fée, peu prévoyante, ne savait plus trop que lui donner qui ne répèterait pas ce que ses frères avaient déjà. La beauté, la douceur, la patience? Mais ce serait oublier que notre fée était une grande féministe, et qu'elle n'aurait voulu sous aucun prétexte faire de cette enfant l'exemple même de la jeune fille soumise modèle. Alors elle chercha au fond de son sac à vertu tous les dons encore disponibles qui feraient du bébé une femme moderne et indépendante; puis revit son ambition et la baisse et essaya d'en ramasser quelques uns qui ne la rendraient pas trop cruche. Elle finit par lui accorder le don de comprendre les textes du programme de philo de terminale, et, trouvant ce cadeau un peu maigre par rapport à ceux faits aux aînés, elle voulut compléter avec un autre don un peu plus marrant. Elle lui accorda donc la capacité de faire bouger son nez.
On ne sait pas encore trop si cette jeune fille libérée trouvera sa place dans la société même en refusant de se conformer à ses rôles-types. Si elle arrivera à trouvera un prince charmant qui ne sera pas doté par sa marraine d'une force et d'une combattivité viriles destinées à bouffer du dragon au ptit dèj. Difficile de dire si, effectivement, elle vivra heureuse. Par contre, pour avoir beaucoup d'enfants, c'est ok. Rien que cet été ils étaient 140.
J'aime beaucoup ce texte, Evey sans trop pouvoir justifié. Jolie réflexion autour en tout cas, surtout avec le ...
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